Pour moi, à la Pommerie, tout a commencé peu après l’ouverture du centre, vers 1978, à la fin du mois d’août ou au début de septembre. C’est à peu près à cette époque que Françoise Giresse, la femme de Jean-Marcel Boucher (le fondateur de notre centre naturiste), a décidé de faire venir une mycologue attachée à la Société d’Animation du Jardin et de l’Institut Botaniques (SAJIB) de Montréal, pour nous initier à la cueillette de champignons sauvages. Nous étions une trentaine ce jour-là. La mycologue a commencé par nous expliquer les rudiments de son art. Il fallait nous munir de plusieurs sacs de papier, ou de quelques paniers d’osier (surtout pas de plastique), et d’un ou deux bons couteaux. Elle nous a aussi avertis de séparer les champignons selon les espèces, dans des sacs différents. Il fallait évidemment s’assurer de ne pas mélanger des champignons comestibles et d’autres qui pouvaient être toxiques.
Une chasse au trésor
Nous sommes donc partis dans les bois, tous ensemble, et nous avons vite fait de nous extasier devant la variété incroyable de formes, de textures et de couleurs qu’offre la nature, pour peu qu’on s’y attarde ! Nous étions tous très excités de découvrir qu’il y avait à la Pommerie plusieurs variétés de bolets, de différentes couleurs, tailles et propriétés. Presque tous sont comestibles, mais leur goût varie. Le bolet bleuissant est mangeable, mais pas aussi bon que le bolet de Bordeaux, ou cèpe. Il faut donc lui donner du « pep » en le cuisinant avec force fines herbes, et peut-être de l’ail et des oignons.
Justement, notre guide nous a fait découvrir qu’il existait aussi des marasmes à odeur d’ail. Nous en avons trouvé des tas dans un sentier : de petites taches rondes et luisantes, comme si quelqu’un avait échappé des pièces de 10 cents ou de 5 cents qui brillaient au soleil. La combinaison du bolet bleuissant et du marasme à odeur d’ail est un vrai délice.
Notre guide nous a aussi fait remarquer quelques champignons très communs de la Pommerie, comme les faux mousserons (qui poussent en cercles sur les pelouses) et les vesses-de- loup géantes. Prudemment, elle nous a fait mettre à part des champignons douteux qu’il fallait cueillir avec leur racine pour pouvoir les identifier plus facilement. Quant aux champignons connus, comme les bolets, on nous recommande de les couper avec un couteau, le plus près possible du sol, car ils sont entièrement comestibles. Seulement, un même couteau ne peut pas servir à couper un bolet et un champignon douteux, car il y a un risque de contamination !
Attention, poison
On nous a aussi fait remarquer les très belles, mais très dangereuses amanites qui sont assez nombreuses dans les sous-bois. La plupart sont toxiques, certaines mortelles. Il y a une sorte d’amanite qui est un excellent comestible, mais je ne me hasarderais pas à la rechercher ni à la cueillir. En fait, comme je suis plutôt paresseux, je cueille surtout les champignons qui sont de bons comestibles, assez nombreux, charnus et communs. Quand je découvre une nouvelle espèce, si elle est très abondante et prometteuse, alors, j’accepte de consacrer quelques heures à tenter de l’identifier. C’est ainsi qu’il y a quelques années, j’ai commencé à cueillir à la Pommerie des trompettes de la mort. Un délice auquel les guides québécois accordent quatre fourchettes !
Par la suite, plusieurs personnes m’ont demandé de les initier à la cueillette de champignons. J’ai toujours hésité, car bien que j’aie suivi des cours et fait partie un temps du Cercle des mycologues de Montréal, je ne me considère pas comme un expert et je ne veux pas prendre de responsabilités en cas d’intoxication. Personnellement, cela ne m’est jamais arrivé, en quarante ans de cueillette. Mais je ne tiens pas non plus à révéler mes coins favoris, car plusieurs champignons assez recherchés poussent chaque année aux mêmes endroits et je ne veux pas nécessairement qu’on me les cueille sous le nez… J’ai pourtant donné un vendredi soir à la Pommerie une conférence illustrée sur les champignons, en communiquant les rudiments de l’art.
À la découverte
En fait, à plusieurs reprises, j’ai plutôt proposé, aux personnes intéressées, de partir avec moi à la découverte de nouveaux sites (la Pommerie est bien grande !) et d’espèces que je ne connaissais pas encore. On trouve quelque 3000 espèces de champignons au Québec, et, à ce jour, j’en cueille une trentaine à peine. C’est ainsi qu’avec Valéry, j’ai découvert un jour les trompettes de la mort, et qu’avec Édith, j’ai trouvé pour la première fois de ma vie des pleurotes sur une souche à deux pas de sa caravane. Avec elle et Agathe, j’ai partagé un jour une immense vesse de loup trouvée près de la piscine, que nous avons mangée avec délice (elle peut se conserver plusieurs jours au frigo). Richard me consulte souvent pour me montrer des espèces qu’il a trouvées en abondance, comme les polypores écailleux qui poussent sur de vieux pommiers pas loin du terrain de volleyball. J’ai appris une recette italienne, qui consiste à les faire cuire et conserver dans le vinaigre, comme des cornichons. Jean a découvert au printemps 2017 une centaine de morilles sur un terrain de la Pommerie. Il m’a immédiatement envoyé une photo avec son téléphone pour s’en assurer. Le chanceux ! Moi, je n’ai cueilli en tout et pour tout que trois morilles en 40 ans à la Pommerie ! Heureusement, je fréquente près de chez moi un boisé où les morilles abondent, et dont je ne révélerai l’emplacement à personne, même sous la torture !
En fait, la cueillette des champignons à la Pommerie est une sorte de chasse au trésor. Chaque période, de début mai à fin septembre, offre des espèces différentes. Aujourd’hui, il n’est pas rare que l’on vienne à ma caravane pour que j’aille identifier telle ou telle sorte sur un terrain. Et je suis heureux de constater que, lentement mais sûrement, certains membres se sont mis à consommer et apprécier quelques espèces. Partir en cueillette avec un panier sous le bras et un bon canif est une merveilleuse façon de se mettre en harmonie avec la nature, qui sait être si belle et si prodigue ! De plus, pouvoir faire ces cueillettes en nudité constitue un plaisir unique, précieux, incomparable, que je recommande à tous les citadins.