Ma mère, une amoureuse invétérée du monde végétal et moi, dotée d’une passion pour les animaux, partageons un émerveillement commun envers la nature, la croissance et l’exploration de la vie! Animées par cet amour commun, nous avons décidé d’unir nos forces, nos énergies et nos talents pour embellir le site, déjà féérique, qu’est la Pommerie, par un projet environnemental.
Monarques et asclépiades vont de pair
C’est en février 2017 que ma mère nous inscrit à la Fondation L’effet papillon de David Suzuki, une campagne de sensibilisation invitant les Québécois(e)s à planter des asclépiades, plantes sauvages presque éradiquées de plusieurs régions québécoises, afin de diminuer la chute de la population de monarques. Nous devenons donc officiellement membres de la Patrouille des Monarques! Munies de nos affiches et de nos sachets de semences, nous nous attelons à la tâche.
L’asclépiade, dont plusieurs espèces sont indigènes au Québec, est essentielle à la reproduction des monarques, puisque les femelles ne pondent que sur cette plante, qui constitue l’unique source de nourriture des chenilles. Afin de recréer nos conditions hivernales, nous débutons donc un processus de stratification qui permet de stimuler les conditions liées à la semence.
Nous plaçons d’abord les semences dans un récipient dont le couvercle est préalablement perforé. Les semences doivent ensuite être mélangées avec un substrat humide, soit: sable, vermiculite, ou papier absorbant humidifié. Le tout est alors déposé au réfrigérateur (5 °C) un minimum de 30 jours. Et nous attendons jusqu’à ce que…
Apprentissage : ayant semé les quelques 1200 semences, une à la fois, nous avons bien vite constaté que l’option du papier essuie-tout humide était de loin la meilleure option! Car essayer de trouver les semences dans le sable ou la vermiculite était loin d’être un tâche aisée!
Un endroit pollinisateur d’idées
Dès lors que la neige eut laissé place à la terre, nous avons débuté la délimitation d’un espace, avec l’aide du propriétaire, qui serait dédié au jardin des monarques en traçant une circonférence de 19 m. Cet espace délimité était nécessaire puisque la plante qui se reproduit aisément, par semances ou par la formation de tiges souterraines, peut s’étendre rapidement et devenir, parfois envahissantes pour d’autres espèces. Ces travaux préliminaires ont permis de procéder à la livraison d’une terre de très grande qualité qui fit le bonheur de nos précieuses semences. Nos charmants voisins sont venus nous prêter main forte pour étendre la terre. Enfin, il ne nous restait plus qu’à semer.
Il faut mentionner que notre espace papillon se trouve à un endroit très achalandé du site, véritable carrefour où se côtoient nos sportifs, nos jardiniers, nos passionnés d’oiseaux, nos professionnels en massothérapie, nos amateurs de détente, ainsi que les habitués du restaurant et de l’auberge. Les passants, piqués de curiosité, nous posaient donc diverses questions. Mais pourquoi ce cercle? « Nous semons de l’asclépiade ! » Ha ! Le tabac sauvage? L’herbe à la ouate? Le petit cochon de lait? La mauvaise herbe? La plante contre les verrues? Le soyer du Québec?
Nous avons donc non seulement appris les multiples surnoms donnés à cette plante essentielle à la survie du monarque, mais aussi stimulé la collectivité. Vu le nombre grandissant de questions des passants, ma mère a également décidé d’installer une affiche informative près du jardin.
La nourriture et le voyage du Monarque
L’asclépiade, plante vivace, ne fleurit que la deuxième année après sa semence. Nous avons donc décidé de transplanter des plants déjà établis sur le site, en plus des jeunes semences. Peu de ces plants ont survécu, mais parmi les irréductibles: Surprise! Il y avait des œufs jaunâtres présents sous les feuilles des jeunes pousses. Comme mentionné précédemment, les monarques adultes ne pondent leurs œufs que sur cette plante. À l’éclosion des oeufs, les chenilles, rayées de jaune, noir et blanc, ne se nourrissent que des feuilles de l’asclépiade. Il faut savoir que cette plante est fort utile pour les monarches, car elle contient de la cardénolide, un poison qui éloigne les prédateurs, mais dont le monarque est immunisé.
Les monarques parcourront la route du Canada au Mexique, soit 4500 km. Une génération entière de monarques est sacrifiée pour parcourir cette distance. Pour le retour au Canada, c’est de 4 à 5 générations de papillons qui effectueront la traversée et mourront dans l’aventure. Il faut savoir que les générations nées au Québec vivent près de 6 mois, alors que les monarques nés au Mexique ne vivent que de 4 à 6 semaines.
Le monarque est le plus grand papillon diurne du Québec et pourtant, il est souvent confondu avec la Belle dame. Il faut toutefois savoir qu’en plus de la taille, le monarque se distingue par un battement d’ailes plus ample, planant et dansant que le battement nerveux de la Belle dame.
Nos chenilles ont grossi très vite en se nourrissant de feuilles d’asclépiades mangées à la même vitesse que nous dévorons notre premier blé d’inde de l’année. Par la suite, les chenilles se sont dispersées dans la nature pour aller faire leurs cocons. Une autre belle surprise nous attendait : une chenille avait choisi le poteau d’information pour y faire son coussinet de soie et pour en former sa chrysalide. Elle montrait bien l’exemple aux passants curieux!
Une transformation spectaculaire
J’avais toujours pensé que la chenille construisait sa chrysalide comme l’araignée tisse sa toile. Mais la chrysalide est à l’intérieur de la chenille! Belle philosophe cette chenille! Ne serait-ce pas comme la notion du bonheur? Ne doit-il pas venir de l’intérieur plutôt que de l’extérieur?
Ainsi, une partie de la peau de la chenille se coupe à partir de la base de son corps jusqu’à la tête et ainsi apparaît une chrysalide fragile de couleur vert émeraude. Tout un phénomène qui dépasse encore une fois l’entendement l’humain. La chenille du monarque devenant chrysalide augmentera de 2700 fois son poids! À ce rythme, un bébé humain de 6 livres en viendrait à peser 8 tonnes à sa naissance!
Nous avons donc observé l’évolution de notre chenille pendant plus de 10 jours. Pendant ce temps d’attente, nous avons pu constater que La Pommerie fourmille de biodiversité. Nous avons observé d’autres insectes de l’asclépiade : l’arctiide, le puceron, la punaise, la chrysomèle ou encore les pucerons jaunes qui ont une relation d’ordre symbiotique avec les fourmis. Les fourmis élèvent ces pucerons parce qu’ils produisent du miellat sucré dont elles se nourrissent. Les fourmis agissent en bergères et tentent de défendre leurs troupeaux contre les coccinelles ou les chrysopes qui sont des prédateurs de pucerons.
Pour en arriver à les nommer aujourd’hui avec facilité, nous avons communiqué avec une biologiste et cherché dans plusieurs livres. Encore une fois, nous constatons l’importance de la vie en communauté pour notre avancement. Chacun a ce supplément d’informations qui nous permet d’apprendre!
Au dernier jour de la chrysalide, le vert émeraude laisse place à une transparence totale. C’est la naissance, ou plutôt la transformation d’un potentiel, d’un œuf à chenille, de chrysalide à papillon. Cet insecte nous apprend à ne pas porter d’étiquette fixe et que chaque être humain a le potentiel de se développer, de changer et de se transformer. Laisser l’individu se développer est la plus grande leçon que notre monarque nous a transmise.
C’est la pression du corps qui favorise la perforation de la dernière couche de la chrysalide. Le monarque en sort froissé comme un papier de soie. Pendant deux heures, le papillon expulse un produit jaune de son abdomen et commence à déployer ses ailes. Il se détache ensuite complètement de sa maison à la recherche des rayons du soleil pour sécher ses ailes.
C’est à ce stade que nous avons nommé notre monarque « Mona Lisa », future porteuse de la nouvelle génération. Elle fera son premier envol 4 heures plus tard, sous nos yeux émerveillés.
Observer la nature c’est apprendre à vivre selon ses règles. Ce moment de magie de voir éclore le papillon et de prendre son envol, a bien justifié notre projet. La nature est dotée d’une conscience fascinante!
Origine et histoires d’asclépiade
Bien que son nom latin suppose une origine d’outremer, l’asclépiade commune est une espèce indigène que l’on retrouve qu’en Amérique. Elle a été signalée aux environs de Québec vers 1600. Il existe entre 100 et 200 espèces d’asclépiades à travers le monde. Nous nous concentrons ici que sur l’asclépiade commune (incarnate).
De nos jours, l’asclépiade commune est considérée comme une mauvaise herbe par les agriculteurs qui tentent par tous les moyens de l’éradiquer de leurs champs cultivés. Cet aspect est un point marquant dans l’extinction progressive à 90% du monarque depuis 2002.
Pourtant, l’asclépiade permet une culture régénérative du sol grâce à son système racinaire très étendu. Elle fixe le carbone aérien, réduisant ainsi la production de gaz à effet de serre. Sa culture contribue aussi à préserver les nappes phréatiques, car elle ne nécessite aucune irrigation et sa fleur fait profiter l’ensemble des pollinisateurs par son nectar, qui en retour, procèdent à la pollinisation de cette plante nécessitant ainsi aucun pesticide! En effet, en plus des pollinisateurs, les asclépiades sont visitées par des insectes prédateurs et parasitoïdes qui sont très utiles, au jardin comme en agriculture.
L’asclépiade figure également parmi les premières plantes américaines décrites scientifiquement. À l’époque, les Amérindiens se servaient des fibres de la tige comme fil, alors qu’une infusion de la racine et des rhizomes procurait une stérilisation temporaire pour les femmes.
Avec la production de la soie qui se trouve à l’intérieur des gousses, le soyer peut également être utilisé pour confectionner un manteau. Des expériences ont été faites auprès d’alpinistes du Mont-Everest et avec la garde côtière canadienne, expériences qui s’avérèrent concluantes! Et grâce à ses propriétés isolantes, hypoallergènes, anti-microbiennes, hydrophobes, et ignifuges, la soie de l’asclépiade est aussi utilisée dans le monde ferroviaire, de l’aviation et de l’automobile. Une plante polyvalente qui mérite d’être réintégrée sur nos sols québécois!
L’asclépiade culinaire… et ses dangers!
Plusieurs parties de l’asclépiade commune sont comestibles, cependant il y a plusieurs précautions à prendre, car elle est aussi considérée comme une plante toxique qui peut mener à des complications cardiaques chez l’être humain. Informez-vous donc avant d’en mettre dans une salade! Cette plante paradoxale, à la fois succulente et toxique, mauvaise herbe pour certains et plante de jardin pour d’autres, mérite qu’on l’apprivoise à nouveau, ne serait-ce que pour la survie des monarques.
La suite…
L’été 2018 sera l’année de floraison de nos 1200 semences! Suspense! Est-ce que les monarques trouveront le chemin des asclépiades? Venez donc profiter du moment présent, observer les beautés de la nature en action et accueillir nos nouvelles venues!… On se croisera peut-être près du jardin des papillons à philosopher!