De nos jours, la nudité est principalement associée à la sexualité. Pourtant, en se référant à l’art et à son histoire nous pouvons y découvrir une richesse insoupçonnée du rôle de la représentation du corps humain nu. En tant que naturiste où je pratique le gymnité depuis une quarantaine d’années et artiste-peintre de métier, je trouvais intéressant de revisiter l’évolution du ‘nu’ tout en mettant en lumière certaines de ses lettres de noblesse.
De la préhistoire à nos jours, le ‘nu’ se retrouve de façon inéluctable dans l’ensemble des œuvres d’art. Les valeurs et les croyances véhiculées, au cours des différentes époques, ont influencé les artistes dans leur perception de la représentation de la nudité.
Le nombre d’or
Un rapport de proportions a été observé issu de la nature. Une loi mathématique a été identifiée dans les éléments naturels, comme la disposition des cœurs de tournesol, des écailles sur les pattes de tortues, de la pousse des branches des arbres, des coquillages et de bien d’autres éléments de la création. Ce rapport de proportions nommé la Divine proportion ou le nombre d’or, universellement reconnue autour du chiffre 1,618 a été pris en compte comme gabarit de mesure. Le corps humain en fait partie, lui-même répondant à des règles mathématiques identifiées par Vitruve.
Vitruve, architecte romain, 1ier siècle avant J-C, a dessiné ces rapports de proportions, repris par Léonard de Vinci où le corps humain s’inscrit dans un cercle et dans un carré. Le nombril en serait le centre. Ce type de rapports a été appliqué par les artistes du monde entier et de toutes les époques. Il structure les plus grands chefs-d’œuvre de la création, reconnus comme d’une grande beauté. Ce rapport de proportions se retrouve également dans les réalisations architecturales des temples grecs, des pyramides de Gisez, Khéops et Khephren et autres réalisations basées sur l’équation d’un tiers deux tiers, entre la longueur, la largeur et la hauteur de l’œuvre.
De la préhistoire au Moyen-âge
La Préhistoire a laissé de petits chefs-d’œuvre sculpturaux principalement féminins. Je me souviens lors de mes études en histoire de l’art aux Arts Appliqués, d’avoir été séduite et marquée par ces petites déesses nues, hautes de quelques centimètres. La Vénus de Willendorf ou encore celle de Lespugue, taillées dans la pierre ou l’ivoire, soulignaient par leur corps opulents, la lourdeur de leurs seins et les rondeurs de la forme de leur sexe, la manifestation de la fertilité. C’est l’époque où la sculpture donne vie aux pierres et où le corps humain en est le modèle privilégié.
Dans l’Antiquité, les artistes percevaient le corps humain comme le parfait reflet de l’ordre divin. Les statues créées ne représentaient pas alors des personnes réelles mais plutôt l’idéalisation d’un corps parfait et harmonieux. La nudité est célébrée par un statuaire fleurissant, représentant des corps d’éphèbes et d’athlètes pour rendre hommage à la perfection du corps, incarnation divine. Et ce sont les égyptiens, qui les premiers ont établis les proportions du corps humain basés sur les relations des parties du corps entres elles. Ce n’est qu’au cinquième siècle que le statuaire s’attache à représenter de vraies personnes et que le sculpteur Praxitèle fait accepter à nouveau, pour la première fois depuis la Préhistoire, le nu féminin.
Au Moyen-âge, l’art est principalement religieux et subit l’influence et l’emprise de l’église Catholique qui décrète que la nudité est associée au péché originel. Le nu dans l’art est pourtant présent et a une place essentielle tant pour l’étude de style que pour l’expression du sens profond de l’incarnation. Cependant l’ambiguïté reste entre le corps qui est à l’image de Dieu et celui qui exprime le péché. Les artistes représenteront alors la nudité comme rôles symboliques de la pauvreté, du martyre ou encore de l’innocence. Et ils veilleront à recouvrir d’un drapé ou d’un pagne cachant partiellement leurs sujets tout en tentant toutefois de déshabiller quelques Saints ou héros tolérés par l’Église.
De la Renaissance à nos jours
La Renaissance apporte avec elle un renouveau en faisant un retour vers le classicisme de l’Antiquité où le ‘nu’ retrouve sa place dans l’art. J’ai eu l’occasion de visiter quelques grands musées et découvrir une prolifération de peintres de cette époque qui ont su célébrer la nudité démontrant un immense talent. Notamment, la ‘Galleria degli Uffizi’ (La galerie des Offices) à Florence, où la ‘Naissance de Vénus’ de Sandro Botticelli, 1485, est exposée. Et dans ce pavillon du 16ième siècle construit par Vasari pour les Médicis, ce tableau est côtoyé, entre autre, par les œuvres de Léonard de Vinci, Raphaël, Michel-Ange, le Titien, le Caravage, tous auteurs de nus d’une grande beauté. Je garde un attrait tout particulier pour le peintre Parmigianino, dit Parmesan, pour ses études du corps humain faites à l’encre de chine, à la sanguine, au lavis brun et à la terre de sienne avec des rehauts de blanc.
On doit au peintre Goya, pionnier de l’art moderne dans les années 1800 dans l’Espagne catholique, un tableau qui révolutionne le statu quo et bouleverse cinq siècles d’interdits, ‘La Maja Desnuda’, exposée au musée du Prado de Madrid. Les Impressionnistes lui succèderont, notamment Ingres avec ‘La grande Odalisque’ aux vertèbres surnuméraires qui soulignaient l’idéalisation de la beauté féminine, Degas avec ‘Après le bain’, Manet avec ‘Déjeuner sur l’herbe’, qui a provoqué un scandale auprès des âmes bien-pensantes, alors que cette femme était nue entourée d’hommes habillés. Manet ne voulait qu’en offrir la beauté anatomique à partir du jeu de la lumière et de l’ombre, mais il s’est vu, en 1863 interdire d’exposer.
Il est à noter que le ‘nu’ peut séduire autant qu’il peut fortement déranger. Et plus près de nous, en 1994 Jacques Henric, avait choisi pour couverture de son livre ‘Adorations perpétuelles’, le tableau de Gustave Courbet ‘L’origine du monde‘ peint en 1866, exposant le sexe féminin vu de face. Ce choix déclenche un véritable scandale. Le livre fut ‘boycotté’, caché et retiré des vitrines des librairies. Son auteur ne sera jamais invité aux émissions littéraires, ni à la télévision. Puis dans les années 1900, Egon Schiele l’autrichien expressionniste fait entrer sans équivoque la sexualité dans l’univers de la peinture. Il fut qualifié de pornographe et de psychopathe. Et pourtant nous sommes au début du 20ième siècle.
Modigliani, à peu près à la même époque interprète à sa façon le corps féminin, influencé par l’art africain traditionnel et cambodgien. Picasso et Braque font naître le cubisme et la beauté nue sera déstructurée par la vision du corps qui sera transformé en fragments, au-delà de lui-même. Matisse dans les années 50 réinvente à son tour le ‘nu’, en apportant sa touche colorée où l’on peut découvrir dans ‘Nu bleu’, une fragmentation du corps évoquant le mouvement au-delà de la représentation. Enfin, dans le mouvement hyperréalisme avec Anto Garrucho et Philippe Weber pour exemple, nous côtoyons un réalisme romantique et une perfection quasi photographique du nu.
Le nu, un modèle bien vivant
Pour l’artiste, le corps nu est une source d’inspiration qui incarne la beauté, le mystère et l’interdit. Il signale une réflexion de l’homme sur lui-même et ceci à travers les siècles. L’étude du nu est aussi en lien avec la recherche du mouvement et de la compréhension de sa morphologie où la pose choisie est aussi expressive que le nu lui-même.
Mais c’est aussi beaucoup plus que cela. L’étude ‘du modèle vivant’ est pour les peintres ce que les gammes de piano sont pour les musiciens. L’observation du corps nu dans un mouvement donné, avec l’étude des proportions en fonction de la position dans l’espace et de la lecture des jeux d’ombre et de lumière, garde et entretient la vivacité et la dextérité de l’œil et de la main pour perfectionner l’art du dessin, tout en gardant l’inspiration créative vivante.
Je me souviens de cette atmosphère feutrée, silencieuse, méditative même, que l’on retrouve dans les ateliers de modèles vivants. Ces ateliers permettent de garder l’habileté et la justesse du trait désiré comme une gymnastique et un entraînement pour ceux et celles qui veulent apprendre à dessiner, ou encore se perfectionner.
La pratique de la nudité en milieu naturel complète l’expérience de la connaissance du corps nu en mouvement. De capter comment il interagit avec les éléments, le vent, la chaleur du soleil, l’ombre et la lumière et par l’observation de sa transformation inéluctable du temps qui passe, nous met en contact avec l’essentiel sans artifice.
Bien au-delà des modes et des critères commerciaux, observer le corps humain, l’étudier, le peindre, en saisir la beauté et l’indicible perfection des mouvements est une fascinante activité qui nous met en contact avec la divine dimension de la création et de son histoire. Et ce contact, porte d’entrée d’une dimension plus grande que l’humain, ravit l’âme et nourrit l’esprit.